Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/149

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toi, et je suis née dans ce château. On m’appelait Ranaïde. J’étais belle comme le soleil, aussi belle comme femme que je le suis aujourd’hui comme grenouille. Mon père, qui s’occupait de magie, m’enseigna les sciences occultes, et comme j’avais beaucoup d’esprit, je devins si savante que je m’appropriai les plus rares secrets, entre autres celui des transformations. J’étais libre de prendre toute forme extérieure et de reprendre la mienne au moyen de certaines préparations et enchantements. Par ce moyen, je savais tout ce qui se faisait et se disait sur la terre et dans les eaux ; mais je cachais avec soin ma puissance, car j’eusse été dénoncée, poursuivie et brûlée comme sorcière en ces temps d’ignorance et de superstition.

» J’avais vingt ans quand le prince Rolando m’épousa. Il était jeune, riche, aimable et beau ; Je l’aimai éperdûment, et j’eus bientôt plusieurs enfants. Nous étions les plus heureux du monde dans ce château, alors splendide et fréquenté par toute la noblesse du pays, lorsque je crus avoir un sujet de jalousie contre une de mes damoiselles, nommée Mélasie, que je voyais rôder le soir autour des fossés en compagnie d’un homme enveloppé d’un manteau. Je supposai que cet homme était mon mari, et je me changeai en grenouille pour les voir de près ou pour le reconnaître au son de la voix. Je me plantai entre deux pierres sur le parapet de la douve, et je le vis passer tout près de moi. Je reconnus alors que je m’étais trompée, et que l’inconnu était un page de mon mari, qui parlait pour son