Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/153

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conservé assez d’intelligence humaine pour voir le malheur où j’étais forcée de l’entraîner ? Obéissait-il seulement au nouvel instinct de sa race ? Il ne songeait qu’à me dévorer. J’essayai en vain de lui faire comprendre notre mutuelle situation ; il n’écouta rien, et je fus forcée de prononcer les paroles magiques qui, pendant deux cents ans, devaient nous rendre étrangers l’un à l’autre. Il s’envola dans les airs avec de grands cris, et je ne l’ai plus revu qu’hier, lorsqu’il est venu te chercher au bord du marécage dont j’ai été forcée de faire dernièrement ma résidence.

— Et pourquoi donc, madame, reprit Marguerite, avez-vous été condamnée à redevenir et à rester grenouille pendant deux cents ans, quand il dépendait de vous de rester dame et de cacher votre patte aux regards indiscrets ?

— Les cruels génies l’ont voulu, ma petite Marguerite ! Offensés de l’expédient par lequel je leur avais dérobé mon mari en le faisant devenir oiseau, ils m’ont condamnée à abandonner mes enfants et à épouser Coax, roi des grenouilles, avec lequel j’ai régné longtemps sur les douves, et dont je suis enfin veuve. Le château a passé avec le temps dans les mains de ta grand’mère, et toutes les drogues que j’avais si laborieusement préparées ont disparu ou ont perdu leur vertu ; mais il existe chez vous un trésor inappréciable qui peut et doit me rendre tous mes charmes. C’est une parure enchantée, ma parure de noces, qui est dans une cassette de bois de cèdre, et que madame Yolande tient enfermée dans sa