Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/215

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marcher jusque-là, sa boiterie ne le gênant guère ; mais son père ne se souciait pas de lui voir prendre le goût des voyages, et ce n’était pas la coutume des paysans de ce temps-là de s’éloigner sans nécessité de leur endroit. Les frères aînés allaient aux foires et marchés quand besoin était. Pendant ce temps-là, les plus jeunes gardaient ou soignaient les vaches et ce n’était jamais le tour de Clopinet d’aller se promener. Il en prit de l’ennui et en devint tout rêveur. Quand il menait paître ses bêtes, au lieu d’inventer quelque amusement, comme de faire des paniers de jonc ou de bâtir des petites maisons avec de la terre et des brins de bois, il regardait les nuages, et surtout les oiseaux voyageurs qui passaient pour aller à la mer ou pour en revenir. — Sont-ils heureux, ceux-là ! se disait-il ; ils ont des ailes et vont où il leur plaît. Ils voient comment le monde est fait, et jamais ils ne s’ennuient.

À force de regarder les oiseaux, il les connaissait à leur vol, si haut qu’ils fussent dans le ciel. Il savait leurs habitudes de voyage, comment les grues se mettent en flèche pour fendre les courants d’air, comment les étourneaux volent en troupe serrée, comment planent les oiseaux de proie et comment les oies sauvages se suivent en ligne à distance bien égale. Il était toujours content de voir arriver les oiseaux de passage et il essayait souvent de courir aussi vite qu’ils volaient ; mais c’était peine inutile : il n’avait pas fait dix pas qu’ils avaient fait une lieue et qu’il les perdait de vue.

Soit à cause de sa boiterie, soit parce qu’il n’était