Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/222

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Après s’être étonné un peu, Clopinet retrouva la mémoire, et son cœur se serra au souvenir de son enlèvement par le tailleur ; mais il bondit de joie en s’imaginant que son ravisseur l’avait abandonné, et qu’en cherchant un peu il retrouverait le chemin de sa maison.

Aussitôt pensé, aussitôt fait. Il se releva et fit quelques pas sur le sentier assez large qui s’offrait à lui ; mais il s’arrêta glacé d’épouvante en voyant Tire-à-gauche étendu à deux pas de lui, dormant d’un œil et de l’autre surveillant tous ses mouvements. L’âne broutait un peu plus loin.

Clopinet se recoucha aussitôt et se tint tranquille, quoique le cœur lui battît bien fort. Tout à coup il entendit un grognement clair, comme si un corbeau coassait non loin de lui. Il se retourna et vit que le tailleur ronflait et dormait pour tout de bon avec un œil ouvert. C’était son habitude, cet œil crevé ne se fermait plus ; mais il n’en dormait pas moins. Il était fatigué, car il faisait chaud.

Clopinet se traîna sur ses genoux jusqu’auprès de lui, toujours terrifié par ce vilain œil qui le regardait. Il passa sa main devant, l’œil ne bougea pas, l’œil ne voyait pas. Alors l’enfant, se traînant toujours, sortit du creux en suivant le chemin et se trouva dans un autre creux plus grand, que le chemin traversait aussi. Il ôta et abandonna ses sabots pour mieux courir, et tout à coup, se jetant dans les herbes, il quitta le sentier, gagna la hauteur, et se mit à la descendre aussi vite qu’un lièvre, dans un fouillis de buissons et de plantes folles où il