Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/238

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trait pas dans ses prévisions. Le tailleur seul était capable d’une cruauté gratuite. François s’en retourna donc et fit comme il était convenu. En partant, il remit à son petit frère un paquet de hardes que la mère Doucette avait bien rapiécées, des chaussures neuves et un peu d’argent, auquel il ajouta de sa poche deux beaux grands écus de six livres et un petit sac de liards, afin que Clopinet n’eût à changer son argent que dans les grandes occasions. Il l’embrassa sur les deux joues, et lui recommanda de se bien conduire.

L’oncle Laquille était un homme excellent, très-exalté, même un peu braque, doux comme quelqu’un qui a beaucoup souffert et beaucoup peiné avec patience. Il avait voyagé et savait pas mal de choses, mais il les voyait en beau, en grand, en laid ou en bizarre dans ses souvenirs, et surtout quand il avait bu beaucoup de cidre, il lui était impossible de les dire comme elles étaient. Clopinet l’écoutait avec avidité et lui faisait mille questions. À l’heure, du souper, madame Laquille rentra et Clopinet lui fut présenté. C’était une grande femme sèche, vêtue d’un vieux jupon sale et coiffée d’un bonnet de coton à la mode du pays ; elle avait plus de barbe au menton que son mari et ne paraissait point habituée à lui obéir. Elle ne fit pas un très-bel accueil à Clopinet et Laquille fut obligé de lui dire bien vite que sa présence chez eux n’était pas pour durer ; elle lui servit à souper en rechignant et en remarquant avec humeur qu’il avait un appétit de marsouin.

Le lendemain, Laquille fit ce qu’il avait promis.