Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/368

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autres dormaient, peut-être fut-il aperçu ou entendu par l’un d’eux. Quoi qu’il en soit, ils me déclarèrent qu’ils avaient assez de cette solitude, et ils me quittèrent de bonne amitié, mais en cherchant à me décourager.

Ils n’y réussirent pas. Après avoir pour mon compte embauché d’autres compagnons, qui avancèrent encore un peu la besogne, mais sans donner des résultats bien apparents, je fus encore laissé seul, sous le prétexte que j’avais entrepris une folie, et que c’était me rendre service que de m’abandonner.

Pour la première fois, j’eus un accès de découragement. Je ne pus dormir la nuit, et je vis le géant plus entier, plus solide, plus vivant que jamais, assis sur un bloc au milieu d’autres blocs que j’avais réussi à isoler. Au clair de la lune un peu voilée, on eût dit d’un berger gardant un troupeau d’éléphants blancs. J’allai à lui, je parvins à grimper sur ses genoux, et, m’accrochant à sa barbe, je me haussai jusqu’à son visage, que je souffletai de ma masse de fer. — Petit berger, me dit-il avec sa voix rugissante, allez chercher un autre herbage. Celui-ci est à moi pour toujours, — et me montrant les blocs épars, — vous m’avez donné ces brebis, je prétends les nourrir à vos frais jusqu’à la fin des siècles.

— C’est ce que nous verrons, repris-je. Tu crois triompher parce que tu me vois seul ; eh bien ! tu sauras ce que peut faire un homme seul !

Dès le lendemain, je m’attaquai aux blocs avec tant d’emportement que quinze jours après le géant, n’ayant plus une seule brebis, essaya encore de s’en