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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

peu de mots, poliment et froidement. Je ne sais comment elle aura pris ma lettre. J’ai conté le tout au père Duris-Dufresne, qui a trouvé comme moi qu’on aimait mieux ses enfants que ceux des autres.

Je ne puis pas vous dire si je resterai ici peu ou beaucoup. Mon éditeur paye mal ; cependant il paye, mais si lentement, que le travail des imprimeurs va de même. Je leur remets le manuscrit à mesure que j’en touche le prix, autrement je courrais risque de travailler pour l’honneur. C’est un méchant salaire quand on est si pauvre d’esprit et de bourse. Ce qu’il y a de sûr, c’est que je retournerai près de mes chers enfants, aussitôt que je serai délivrée de ma besogne.

Du reste, je vois avec plaisir que tous les déboires qu’on m’avait prédits dans cette carrière n’existent pas pour les gens qui vivent, comme moi, au fond de leur mansarde, sans autre ambition que celle d’un profit modeste. J’ai déjà assez vu les grands hommes pour savoir qu’ils sont les plus petits de tous. Je les fuis comme la peste, excepté Henri de Latouche, qui est bon pour moi et que j’aime sincèrement.

Je vis fort tranquille, je travaille à mon aise et je me porte bien maintenant. J’ai enfin réussi à me débarrasser de la fièvre qui m’a tourmentée pendant plus d’un mois. Il ne manque à mon bonheur que mes enfants et vous. Mais, si je vous avais ici, je serais trop bien et la destinée n’a pas coutume de me gâter de la sorte. Au reste, elle est sage. Elle me garde ce bonheur pour un avenir que je ne voudrais plus