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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

sa main avec la même somme de vertus et de défauts, de grandeurs et de misères que moi.

Je connais bien des hommes qui te sont supérieurs ; mais jamais je ne les aimerai du fond des entrailles comme je t’aime. Jamais il ne m’arrivera de marcher avec eux toute une nuit sous les étoiles, sans que mon esprit ou mon cœur ait un instant de dissidence ou d’antipathie. Et pourtant ces longues promenades et ces longs entretiens, combien de fois nous les avons prolongés jusqu’au jour, sans qu’il s’éveillât en moi un élan de l’âme qui n’éveillât le même élan dans la tienne, sans qu’il vînt à mes lèvres l’aveu d’une misère pareille.

L’indulgence profonde et l’espèce de complaisance lâche et tendre que l’on a pour soi-même, nous l’avons l’un pour l’autre. L’espèce d’engouement qu’on a pour ses propres idées et la confiance orgueilleuse qu’on a pour sa propre force, nous l’avons l’un pour l’autre. Il ne nous est pas arrivé une seule fois de discuter quoi que ce soit, bon ou mauvais. Ce que dit l’un de nous est adopté par l’autre aussitôt, et cela, non par complaisance, non par dévouement, mais par sympathie nécessaire.

Je n’ai jamais cru à la possibilité d’une telle adoption réciproque avant de te connaître, et, quoique j’aie de grands, de nombreux et de précieux amis, je n’en ai pas trouvé un seul (à moins que ce ne fût un enfant n’ayant encore rien senti et rien pensé par lui-même) dont il ne m’ait fallu conquérir l’affection et dont il ne