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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

reconnaissance que j’ai pour ceux qui m’adoptent. Voilà mon résumé. Il n’est pas modeste ; mais il est très sincère. Je considère comme un amphigouri de paroles toute amitié qui ne convient pas de sa partialité, de son impudence, de sa camaraderie, de tout ce qui fait que le monde se moque et dit : « Ils s’adorent entre eux (asinus asinum). » S’il en est autrement, dites-moi qui m’aimera sur la terre ? Qui est semblable à un autre ? Qui n’est pas choqué et blessé cent fois par jour par son meilleur ami, s’il veut l’examiner des sommets planchiques de l’analyse, de la philosophie, de la critique, de l’esthétique (et tout ce qui rime en ique) ? Il faut toujours trouver que notre ami a raison, même dans les choses où nous aurions tort de l’imiter. Pour cela, il faut être sûr que l’être auquel on confère ce grand droit et ce grand titre d’ami ne fera jamais que des choses bonnes ou excusables, ou dignes de miséricorde.

Songez-y donc, et voyez si vous pouvez être ainsi pour moi. J’aimerais mieux terminer tout de suite nos relations et m’en tenir avec vous à des froideurs gauches, seule chose dont je sois capable quand je n’aime pas, que de vous tromper sur les aspérités de mon charmant caractère. Mais je serais bien malheureuse pourtant de rencontrer une femme comme vous, et de ne pas engrener le rouage de ma vie au sien.

Bonsoir, mon amie ; répondez-moi tout de suite, et longuement. Si vous ne sentez rien pour moi, dites-le.