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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

« Voilà, direz-vous, de beaux sentiments ! » Vous savez que je plaisante, et qu’en état de santé ou de maladie, je suis toujours la même, quant au moral ; ma gaieté n’en est même pas altérée. Je prends le temps comme il vient, comptant sur l’avenir, sur mes forces physiques, sur la bonne envie que j’ai de vivre longtemps pour vous aimer et vous soigner.

Heureusement vous êtes toujours jeune et vous pouvez encore mener longtemps la vie de garçon ; mais un jour viendra, madame ma chère mère, où vous n’aurez plus de si beaux yeux, ni de si bonnes dents ; il faudra bien alors que vous reveniez à nous. C’est là que je vous attends, au coin du feu de Nohant, enveloppée de bonnes couvertures et enseignant à lire aux enfants de Maurice et à ceux de Solange ; moi-même, je ne serai plus alors très allante, et, si ma pauvre santé détraquée me mène jusque-là, je ne serai pas fâchée d’accaparer l’autre chenet ; c’est alors que nous raconterons de belles histoires qui n’en finiront pas et nous endormiront alternativement. Je serai, moi, beaucoup plus vieille que mon âge ; car déjà, avec une dose de sciatique et de douleurs comme celles qui me pèsent sur les épaules, je gagerais que vous êtes plus jeune que moi.

Ainsi donc, chère mère, comptez que nous vieillirons ensemble et que nous serons juste au même point. Puissions-nous finir de même et nous en aller de compagnie là-bas, le même jour !

Adieu, chère maman ; je laisse la plume à Hippo-