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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

arriverai-je à comprendre plusieurs choses que je ne savais pas. Pourvu que je ne sois pas obligée de travailler, je consens à faire tous les progrès imaginables. Il me manquera toujours le chalumeau de l’analyse ; mais, si, au lieu de dissoudre mon cristal, le chalumeau veut bien diriger sa flamme de manière à l’éclairer, le cristal pourra réfléchir cette lumière-là, tout comme une autre.

Malheureusement, ceci ne sert de rien hors du monde intellectuel, et la fatalité des bosses fait que la montagne de l’imagination, dominant toujours par son antériorité d’occupation les petites collines que le raisonnement essaye d’élever alentour, je risque fort de n’acquérir de bon sens pratique que la dose nécessaire pour voir que je n’ai pas le sens commun ; mais n’est-ce pas déjà quelque chose ?

Quand cela ne servirait qu’à me préserver de la morgue qui dessèche le cœur de mes confrères les poètes et à comprendre les amicales remontrances des esprits généreux ! Ce serait un grand bonheur déjà, ce serait un sens de plus et un tourment de moins. Je me pique d’être peu tourmentée par la vanité, et je me flatte aussi de n’avoir pas un cœur de cristal et des amis de carton. Vous ne le croyez pas non plus, n’est-ce pas, cher major ? et votre chalumeau ne vous a jamais montré en moi aucune affectation de sentiments ? Ce que j’admire, c’est que vous connaissiez tout ce que je connais, tandis que, moi, je ne pourrai jamais qu’entrevoir ce que vous voyez clairement.