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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Il fallut être chassé, injurié, et payer. Ne sachant que devenir, car Chopin n’était pas transportable en France, nous fûmes heureux de trouver, au fond d’une vieille chartreuse, un ménage espagnol que la politique forçait à se cacher là, et qui avait un petit mobilier de paysan assez complet. Ces réfugiés voulaient se retirer en France : nous achetâmes le mobilier le triple de sa valeur et nous nous installâmes dans la chartreuse de Valdemosa : nom poétique, demeure poétique, nature admirable, grandiose et sauvage, avec la mer aux deux bouts de l’horizon, des pics formidables autour de nous ; des aigles faisant la chasse jusque sur les orangers de notre jardin, un chemin de cyprès serpentant du haut de notre montagne jusqu’au fond de la gorge, des torrents couverts de myrtes, des palmiers sous nos pieds ; rien de plus magnifique que ce séjour !

Mais on a eu raison de poser en principe que, là où la nature est belle et généreuse, les hommes sont mauvais et avares. Nous avions là toutes les peines du monde à nous procurer les aliments les plus vulgaires que l’île produit en abondance, grâce à la mauvaise foi insigne, à l’esprit de rapine des paysans, qui nous faisaient payer les choses à peu près dix fois plus que leur valeur, si bien que nous étions à leur discrétion, sous peine de mourir de faim. Nous ne pûmes nous procurer de domestiques, parce que nous n’étions pas chrétiens et que personne d’ailleurs ne voulait servir un poitrinaire ! Cependant nous étions installés tant bien que