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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

quand il me prend fantaisie de jurer un peu ? Cela soulage et ne prouve que l’ardeur avec laquelle je voudrais mettre la main sur ton cœur pour le disputer au diable. Quand, par hasard, dans la rue ou dans le salon de madame Marliani, où je mets le nez une fois par semaine, j’entends quelque hérésie contre ma foi, ou quelque cancan contre nos personnes, je n’en perds pas un point de mon ourlet, car j’ourle des mouchoirs à ces moments-là, et on ne me prendra pas par mes paroles avec les indifférents : à ceux-là, on parle par la voie de la presse ; s’ils n’écoutent pas, qu’importe ? Mais, puisque j’ai une nuit de disponible et que je ne la retrouverai peut-être pas d’ici à deux ou trois mois, j’en ai profité pour babiller avec toi, pour te dire que tu n’as pas le sens commun, quand tu dis : « Je suis un homme d’action ; à quoi bon perdre le temps en réflexions ? » C’est une grosse erreur, que de croire qu’il y a des hommes purement d’action, et des hommes purement de réflexion. Quel homme eut plus d’action que Napoléon ? s’il n’eût pas fait de bonnes et profondes réflexions à la veille de chaque bataille, il n’en eût pas tant gagné. Il est vrai qu’il réfléchissait plus vite que nous ; mais il n’en réfléchissait que davantage. Qu’est-ce qu’une action sans réflexion, sans méditation antérieure ? Il y a un proverbe qui dit : Où vont les chiens ? Et tu sais qu’on a écrit et discuté avec une plaisante gravité, pour savoir si les chiens, en marchant devant eux, à droite, à gauche, avec cet air sérieux et affairé qui leur est propre, avaient un