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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

sir à voir en vous l’individu parce qu’il est particulièrement doué, on en a encore plus à le voir maçon, prolétaire, travailleur. Et pourquoi ? c’est parce qu’un individu qui se pose en poète, en artiste pur, en Olympio, comme la plupart de nos grands hommes bourgeois et aristocrates, nous fatigue bien vite de sa personnalité. Les délires, les joies et les souffrances de son orgueil, la jalousie de ses rivaux, les calomnies de ses ennemis, les insultes de la critique : que nous importent toutes ces choses dont ils nous entretiennent, avec leur comparaison des chênes et des champignons vénéneux poussés sur leur racine ? — comparaison ingénieuse, mais qui nous fait sourire parce que nous y voyons percer la vanité de l’homme isolé, et que les hommes ne s’intéressent réellement à un homme qu’autant que cet homme s’intéresse à l’humanité. Ses souffrances ne trouvent d’intérêt et de sympathie qu’autant qu’elles sont subies pour l’humanité. Son martyre n’a de grandeur que lorsqu’il ressemble à celui du Christ ; vous le savez, vous le sentez, vous l’avez dit. Voilà pourquoi votre couronne d’épines vous a été posée sur le front. C’est afin que chacune de ces épines brûlantes fît entrer dans votre front puissant une des souffrances et le sentiment d’une des injustices que subit l’humanité. Et l’humanité qui souffre, ce n’est pas nous, les hommes de lettres ; ce n’est pas moi, qui ne connais (malheureusement pour moi peut-être) ni la faim ni la misère ; ce n’est pas même vous, mon cher poète, qui trouverez dans votre gloire et dans