Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 2.djvu/235

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
232
CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

pas vous dire dans quelles conditions vous devez accepter l’amour, subir le mariage et vous sanctifier par la maternité.

L’amour, la fidélité, la maternité, tels sont pourtant les actes les plus nécessaires, les plus importants et les plus sacrés de la vie de la femme. Mais, dans l’absence d’une morale publique et d’une loi civile qui rendent ces devoirs possibles et fructueux, puis-je vous indiquer les cas particuliers où, pour les remplir, vous devez céder ou résister à la coutume générale, à la nécessité civile et à l’opinion publique ? En y réfléchissant, mademoiselle, vous reconnaîtrez que je ne le puis pas, et que vous seule êtes assez éclairée sur votre propre force et sur votre propre conscience, pour trouver un sentier à travers ces abîmes, et une route vers l’idéal que vous concevez.

À votre place, je n’aurais, quant à moi, qu’une manière de trancher ces difficultés. Je ne songerais point à mon propre bonheur. Convaincue que, dans le temps où nous vivons (avec les idées philosophiques que notre intelligence nous suggère et la résistance que la législation et l’opinion opposent à des progrès dont nous sentons le besoin), il n’y a pas de bonheur possible au point de vue de l’égoïsme, j’accepterais cette vie avec un certain enthousiasme et une résolution analogue en quelque sorte à celle des premiers martyrs. Cette abjuration du bonheur personnel une fois faite sans retour, la question serait fort éclaircie. Il ne s’agirait plus que de chercher à faire mon devoir