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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

car, plus je réussis à m’en distraire pendant certaines heures, plus il rentre en moi sombre et poignant aux heures suivantes. Pourtant, je le combats sans relâche, et, si je n’espère pas une victoire qui consisterait à ne le plus sentir, du moins j’arrive à celle qui consiste à supporter la vie, à n’être presque plus malade, à reprendre le goût du travail et à ne point paraître troublée. J’ai retrouvé le calme et la gaieté extérieurs, si nécessaires pour les autres, et tout paraît bien marcher dans ma vie.

Maurice a retrouvé son enjouement et son calme, et le voilà occupé avec Borie d’un travail attrayant. Borie transcrit littéralement le style de Rabelais en orthographe moderne, ce qui le rend moins difficile à lire. En outre, il l’expurge de toutes ses obscénités, de toutes ses saletés, et de certaines longueurs qui le rendent impossible ou ennuyeux. Ces taches enlevées, il reste quatre cinquièmes de l’œuvre intacts, irréprochables et admirables ; car c’est un des plus beaux monuments de l’esprit humain, et Rabelais est, bien plus que Montaigne, le grand émancipateur de l’esprit français au temps de la renaissance. Je ne me souviens plus si vous l’avez lu. Si non, attendez, pour le lire, notre édition expurgée ; car je crois que les immondices du texte pur vous le feraient tomber des mains. Ces immondices sont la plaisanterie de son temps ; et le nôtre, Dieu merci, ne peut plus supporter de telles ordures. Il en résulte qu’un livre de haute philosophie, de haute poésie, de haute raison et de grande