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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

plume. La sérénité, la gaieté sont faciles en famille. Mais la douleur, comme la joie, rentre en moi-même quand je songe au public.

Ce public froid et lâche qui a laissé égorger la liberté et souiller la ville éternelle redevenue sainte, ce public égoïste, aveugle, ingrat, qui ne s’émeut pas aux exploits de la Hongrie et qui ne s’alarme pas même des efforts de la Russie et de l’Autriche, se réveillerait-il devant un livre, un journal, un écrit quelconque ? Ce serait un devoir pourtant de poursuivre l’œuvre par tous les moyens. Il y en a d’autres peut-être que celui-là, et je ne les néglige pas, je vous les dirai plus tard. Quant à écrire, discuter, prêcher, je crois que la mission des gens de lettres de ce temps-ci est finie ou ajournée en France, et que les plus sincères sont les plus taciturnes. C’est qu’on ne peut pas vivre et sentir isolément. On n’est pas un instrument qui joue tout seul. Ne fût-on qu’un orgue de Barbarie, il faut une main pour vous faire tourner. Cette main, cette impulsion extérieure, le vent qui fait vibrer les harpes écossaises, c’est le sentiment collectif, c’est la vie de l’humanité qui se communique à l’instrument, à l’artiste.

Croyez-moi, ceux qui sont toujours en voix et qui chantent d’eux-mêmes sont des égoïstes qui ne vivent que de leur propre vie. Triste vie que celle qui n’est pas une émanation de la vie collective. C’est ainsi que bavarde, radote et divague ce pauvre Lamartine, toujours abondant en phrases, toujours ingénieux en appréciations contradictoires, toujours riche en pa-