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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

ce qui m’a fait quitter ma retraite et mon lit de douleur. Je me précautionne donc d’une lettre, afin que, si la voix et le cœur me manquent, je puisse au moins vous supplier de lire mes adieux et mes prières.

Je ne suis pas madame de Staël. Je n’ai ni son génie ni l’orgueil qu’elle mit à lutter contre la double force du génie et de la puissance. Mon âme, plus brisée ou plus craintive, vient à vous sans ostentation et sans raideur, sans hostilité secrète ; car, s’il en était ainsi, je m’exilerais moi-même de votre présence et n’irais pas vous conjurer de m’entendre.

Je viens pourtant faire auprès de vous une démarche bien hardie de ma part ; mais je la fais avec un sentiment d’annihilation si complète, en ce qui me concerne, que, si vous n’en êtes pas touché, vous ne pourrez pas en être offensé. Vous m’avez connue fière de ma propre conscience, je n’ai jamais cru pouvoir l’être d’autre chose ; mais, ici, ma conscience m’ordonne de fléchir, et, s’il fallait assumer sur moi toutes les humiliations, toutes les agonies, je le ferais avec plaisir, certaine de ne point perdre votre estime pour ce dévouement de femme qu’un homme comprend toujours et ne méprise jamais.

Prince, ma famille est dispersée et jetée à tous les vents du ciel. Les amis de mon enfance et de ma vieillesse, ceux qui furent mes frères et mes enfants d’adoption sont dans les cachots ou dans l’exil : votre rigueur s’est appesantie sur tous ceux qui prennent,