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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

mains d’un roi que dans celles d’un parti révolutionnaire. Elle a sa légitimité fatale dans le passé, elle ne l’a plus dans le présent. Elle l’a perdu le jour où la France a proclamé le principe du suffrage universel. Pourquoi ? Parce qu’une vérité, n’eût-elle vécu qu’un jour, prend son rang et son droit dans l’histoire. Il faut qu’elle s’y maintienne, au prix de tous les tâtonnements, de toutes les erreurs dont son premier exercice est entaché et entravé inévitablement ; mais malheur à qui la supprime, même pour un jour ! Là reparaît le grand sens des masses, car elles abandonnent celui qui commet cette profanation ; là est toute la cause de l’indifférence avec laquelle le peuple a vu violer sa représentation au 2 décembre. Elle n’était pas encore le produit du suffrage restreint ; mais elle avait décrété la mort du suffrage universel, et le peuple s’est plus volontiers laissé prendre à l’appât d’un faux suffrage universel, qui du moins n’avait pas été débaptisé, et dont il n’a pas compris les restrictions mentales.

« Mais, me diras-tu peut-être, je ne suis pas de ceux qui voudraient revenir avec la dictature et la suppression ou la restriction du suffrage universel. » Pour ce qui te concerne, j’en suis persuadée ; mais alors je te déclare que tu es impuissant, parce que tu es illogique. Cette nation-ci n’est pas républicaine, et, pour qu’elle le devînt, il faudrait la liberté de la propagande ; plus que cette liberté, car elle ne sait pas lire et n’aime pas à écouter. Il faudrait l’encouragement