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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

ce pouvoir oligarchique et militaire ; j’aime autant celui-ci. Je suis aussi bête et aussi sage que le peuple : je sais attendre.

Et allons au fond du cœur humain. Pourquoi sais-je attendre ? Pourquoi la majorité du peuple français sait-elle attendre ? Ai-je le cœur plus dur qu’un autre ? Je ne crois pas. Ai-je moins de dignité qu’un homme de parti ? J’espère que non. Le peuple souffre-t-il moins que vous autres ? J’en doute fort. Sommes-nous sur des roses dans ce pays-ci ? Nous ne nous en apercevons guère.

Pourquoi êtes-vous plus pressés que nous ? C’est que vous êtes pour la plupart des ambitieux : les uns des ambitieux de fortune, de pouvoir et de réputation ; les autres, comme toi, des ambitieux d’honneur, d’activité, de courage et de dévouement ; noble ambition sans doute que celle-là, mais qui n’en a pas moins sa source dans un besoin personnel d’agir à tout prix et de croire à soi-même plus qu’il n’est toujours sage et légitime d’y croire. Vous avez de l’orgueil, honnêtes gens que vous êtes ! vous êtes peu chrétiens ! vous croyez que rien ne peut se faire sans vous, vous souffrez quand on vous oublie, vous vous dégoûtez quand on vous méconnaît. Les vanités qui vous coudoient vous abusent, vous chauffent et vous exploitent. Vous avez vécu à l’aise dans cette Assemblée constituante qui a commencé à égorger le socialisme sans s’en douter, ou plutôt en le voulant un peu ; car vous ne vous disiez pas encore socialistes à cette époque, vous vous