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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

universel. Cette idée, fruit de dix-huit ans de luttes et d’efforts, sous le régime constitutionnel, idée déjà soulevée sous la première révolution, était mûre, tellement mûre, que le peuple l’a acceptée d’emblée et qu’elle est entrée dans sa chair et dans son sang en 1848. Nous ne pouvions pas, nous n’aurions pas dû espérer davantage.

De la possession d’un droit à l’exercice raisonnable et utile de ce droit, il y a un abîme. Il nous eût fallu dix ans d’union, de vertu, de courage et de patience, dix ans de pouvoir et de force, en un mot, pour combler cet abîme. Nous n’avons pas eu le temps, parce que nous n’avons pas eu l’union et la vertu ; mais ceci est une autre question.

Quelle que soit la cause, le peuple, depuis trois ans, n’a fait que reculer dans la science de l’exercice de son droit ; mais aussi il a avancé dans la conscience de la possession de son droit. Ignorant des faits et des causes, trop peu capable de suivre et de discerner les événements et les hommes, il a jugé tout en gros, en masse. Il a vu une assemblée élue par lui se suicider avec rage, plutôt que de laisser vivre le principe du suffrage universel. Un dictateur s’est présenté les mains pleines de menaces et de promesses, criant à ce peuple incertain et troublé : « Laissez-moi faire, je vais châtier les assassins de votre droit ; donnez-moi tous les pouvoirs, je ne veux les tenir que de vous, de vous tous, afin de consacrer que le premier de tous ces pouvoirs, c’est le vôtre ! » Et le