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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

chaque corporation. On les prenait dans un filet maille par maille. Ils le sentaient, et ils contenaient leur indignation.

Arrivé sur la place de l’Hôtel-de-Ville, on les fit attendre une heure pour que toute la mobile et toute la garde bourgeoise fût placée et échelonnée : Le gouvernement provisoire, aux fenêtres de l’hôtel de ville, se posait en Apollon. Louis Blanc avait une belle tenue de Saint-Just. Ledru-Rollin se montrait peu et faisait contre fortune bon cœur. Lamartine triomphait sur toute la ligne. Garnier-Pagès faisait une mine de jésuite, Crémieux et Pagnerre étaient prodigues de leurs hideuses boules et saluaient royalement la populace.

Les pauvres ouvriers étaient refoulés derrière la garde bourgeoise, le long des murs au fond de la place. Enfin, on leur ouvrit, au milieu des rangs, un petit passage si étroit, que, de quatre par quatre qu’ils étaient, ils furent forcés de se mettre deux par deux, et on leur permit d’arriver le long de la grille, c’est-à-dire devant cent mille baïonnettes et fusils chargés. Dans l’intérieur de la grille, la mobile armée, fanatisée ou trompée, aurait fait feu sur eux au moindre mot. Le grand Lamartine daigna descendre sur le perron et leur donner de l’eau bénite de cour. Je n’ai pu entendre les discours ; mais, qu’ils en fussent contents ou non, cela dura dix minutes, et les ouvriers défilèrent par le fond des autres rues, tandis que la garde bourgeoise et la mobile se firent passer pom-