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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

nous pu croire que trois jours de combat dans la rue donneraient à notre idée un règne sans trouble, sans obstacle et sans péril ? Nous sommes sur la brèche à Paris comme à Nohant. La contre-révolution est sous le chaume comme sous le marbre des palais. Allons toujours ! ne t’irrite pas, tiens ferme, et surtout habitue tes nerfs à cet état de lutte qui deviendra bientôt un état normal. Tu sais bien qu’on s’accoutume à dormir dans le bruit. Il ne faut jamais croire que nous pourrons nous arrêter. Pourvu que nous marchions en avant, voilà notre victoire et notre repos.

La fête de la Fraternité a été la plus belle journée de l’histoire. Un million d’âmes, oubliant toute rancune, toute différence d’intérêts, pardonnant au passé, se moquant de l’avenir, et s’embrassant d’un bout de Paris à l’autre au cri de Vive la fraternité ! c’était sublime. Il me faudrait t’écrire vingt pages pour te raconter tout ce qui s’est passé, et je n’ai pas cinq minutes. Comme spectacle, tu ne peux pas t’en faire d’idée. Tu en trouveras une relation bien abrégée dans le Bulletin de la République et dans la Cause du peuple. La reçois-tu, à propos ? J’ai affaire à la plus détestable boutique d’éditeurs qu’il y ait ; ils n’envoient pas les numéros et s’étonnent de ne pas recevoir d’abonnements. Je vais changer tout cela.

Mais, pour revenir à cette fête, elle signifie plus que toutes les intrigues de la journée du 15. Elle prouve que le peuple ne raisonne pas tous nos différends, toutes nos nuances d’idées, mais qu’il sent vivement