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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

pas s’aimer assez. Ce qui doit vous manquer, en raison du milieu où le sort vous a placé, c’est le quelque chose, la passion satisfaite d’un but intellectuel, et ce quelque chose, en somme, c’est l’humanité, puisque c’est pour elle qu’on travaille.

J’ai tant de respect et d’enthousiasme pour les sciences naturelles, dont je ne sais pas le premier mot, mais qui me donnent des battements de cœur et des éblouissements de joie quand, par hasard, j’en saisis quelques notions à ma portée, que je ne saurais vous parler de cela comme d’un pis aller dans l’emploi de votre activité intérieure.

Peut-être, un jour, des événements que nul ne peut prévoir vous traceront-ils une autre route. Et peut-être aussi, en vous surprenant dans celle-là, ne vous causeront-ils que regret et contrariété ; car notre appréciation de la vie change avec les situations qu’elle nous présente, et bien des choses arrivent, que nous avions cru devoir souhaiter, et que nous voudrions pouvoir repousser, parce que nous les jugeons mieux et les connaissons davantage. Si je me permets de vous écrire tout cela, c’est parce qu’en lisant votre voyage dans le Nord, je me suis mise à penser à vous, encore plus qu’au Nord, dont mon imagination était cependant très allumée.

Je vous voyais, intrépide et entêté, dans les dangers et les souffrances de cette exploration, et je me demandais « À qui diable en avait-il, avec cette île de Jean-Mayen, qu’il voulait conquérir sur la stupide et