Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 4.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
192
CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Notre pauvre siècle, si grand par certains côtés, si misérable par d’autres, vous comptera parmi les bons et les consolateurs, ceux qui portent un flambeau et qui savent l’empêcher de s’éteindre. Votre lettre me montre bien que vous avez le talent dans le cœur, c’est-à-dire là où il doit être pour chauffer et flamber toujours.

C’est un devoir de s’aimer quand on est sorti du même temple ; aimons-nous donc, nous qui ne sommes pas bêtes et mauvais. Croyons, à la barbe des railleurs froids, que l’on peut vivre à plusieurs et se réjouir d’une gloire, d’un bonheur, d’une force qui éclatent au bon soleil de Dieu. Ne semble-t-il pas, quand on voit ou quand on lit une belle chose, qu’on l’a faite soi-même et que cela n’est ni à lui, ni à toi, ni à moi, mais à tous ceux qui en boivent ou qui s’y retrempent ?

Oui, voilà les vrais bonheurs de l’artiste : c’est de sentir cette vie commune et féconde qui s’éteint en lui dès qu’il s’y refuse. Et il y a pourtant des gens qui s’attristent et se découragent devant l’œuvre des autres et qui voudraient l’anéantir. Les malheureux ne savent pas que c’est un suicide qu’ils accompliraient. Ils voudraient tarir la source, sauf à mourir de soif à côté.

J’irai à Paris à la fin de mars, je crois ; y serez-vous, et viendrez-vous me voir ? Oui, n’est-ce pas ? ou bien vous viendrez me voir dans ma thébaïde, qui n’est qu’à dix heures de Paris ? Laissez-moi espérer cela ;