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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

jusqu’à la vieillesse, et de nous imaginer, jusqu’à la veille de la mort, que nous ne faisons que commencer la vie ; c’est, je crois, le moyen d’acquérir toujours un peu, non pas seulement en talent, mais aussi en affection et en bonheur intérieur.

Ce sentiment que le tout est plus grand, plus beau, plus fort et meilleur que nous, nous conserve dans ce beau rêve que vous appelez les illusions de la jeunesse, et que j’appelle, moi, l’idéal, c’est-à-dire la vue et le sens du vrai élevé par-dessus la vision du ciel rampant. Je suis optimiste en dépit de tout ce qui m’a déchirée, c’est ma seule qualité peut-être. Vous verrez qu’elle vous viendra.

À votre âge, j’étais aussi tourmentée et plus malade que vous au moral et au physique. Lasse de creuser les autres et moi-même, j’ai dit un beau matin : « Tout ça m’est égal. L’univers est grand et beau. Tout ce que nous croyons plein d’importance est si fugitif, que ce n’est pas la peine d’y penser. Il n’y a dans la vie que deux ou trois choses vraies et sérieuses, et ces choses-là, si claires et si faciles, sont précisément celles que j’ai ignorées et dédaignées, mea culpa ! — mais j’ai été punie de ma bêtise, j’ai souffert autant qu’on peut souffrir, je dois être pardonnée. Faisons la paix avec le bon Dieu. »

Si j’avais eu de l’orgueil incurable, c’était fait de moi ; mais j’avais ce que vous avez, j’avais la notion du bien et du mal, chose devenue très rare en ce temps-ci, et puis je ne m’adorais pas, et je me suis