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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

D’ailleurs, est-il le seul à vénérer dans cette époque de renouvellement moral et intellectuel qui s’est appelée le christianisme et qui a été l’œuvre de plusieurs hommes d’élite et de plusieurs siècles de discussion ? Ou, comme M. Renan le croit, Jésus a ignoré les doctrines qui l’entouraient, et, original au suprême degré, il a été une vive et puissante incarnation de la pensée qui planait sur son siècle ; ou, comme vous le croyez, monsieur, et comme je penche à le croire avec vous, il a été instruit et il n’est qu’un disciple plus pur et mieux doué que ses maîtres. Il y a une troisième version qui ne me plaît pas et qui a pourtant sa valeur : c’est qu’il n’a jamais existé de Jésus proprement dit, et que sa vie n’est qu’un poème et une légende qui résume plusieurs existences plus ou moins intéressantes, comme son Évangile ne serait qu’un ensemble de versions plus ou moins authentiques d’une même doctrine sujette à mille interprétations. Je crois que vous admettez la possibilité de toutes ces choses ; il faut bien l’admettre quand on n’a pas de certitude et de preuve historique incontestable.

Mais vous dites en vous-même : « Qu’importe, après tout, si nous avons sauvé de tous ces naufrages de la réalité historique, une vérité philosophique, une doctrine admirable ? » Très bien, je pense comme vous ; mais je ne tiens pas à appeler christianisme cette doctrine, qui n’est peut-être pas du tout celle du nommé Jésus, lequel n’a peut-être jamais été crucifié ; et je