Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 5.djvu/10

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voulu rêver, à rester quand j’aurais voulu courir, à faire des économies sordides sur certains besoins entièrement personnels, certains luxes de robes de chambre et certaines questions de pantoufles auxquelles j’aurais été sensible ; à ne pas flatter la gourmandise des convives, à ne pas voir les théâtres, les concerts, le mouvement des arts ; à me faire anachorète, moi qui aimais l’activité de la vie et le grand air des voyages. Je n’ai pas souffert de ces renoncements : je sentais en moi une joie supérieure, celle de satisfaire ma conscience et d’assurer le repos du cœur de chaque jour. En compromettant et sacrifiant les aises de l’avenir ? en méprisant mon argent qui voulait me tenter ? Oui, c’est comme cela, et vous ne me donnerez pas tort, je parie.

Ai-je été prodigue pour cela ? Non, puisque je n’ai pas fait comme la plupart de mes confrères en aliénant ma propriété, pour le plaisir de manger une centaine de mille francs par an. J’ai senti que, si j’eusse fait comme eux, je n’eusse rien avalé, mais j’aurais tout donné ; car, en détail, j’ai bien donné au moins 500 000 francs sans compter les dots des enfants. J’ai mis le holà à mon entraînement, et mes enfants n’auront pas de reproches à me faire. J’ai résisté à la voix du socialisme mal entendu qui me criait que je faisais des réserves. Il y en a qu’il faut faire et on ne m’a pas ébranlée. Une théorie ne peut pas être appliquée sans réserve dans une société qui ne l’accepte pas. J’ai fait beaucoup d’ingrats, cela m’est