Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 6.djvu/14

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jourd’hui la déchéance avec unanimité. Ceux qui partent ont la rage dans l’âme. Recommencer à servir quand on a fait son temps, c’est, pour l’homme qui a repris sa charrue, une iniquité effroyable. Ils se disent trahis, livrés d’avance à l’ennemi, abandonnés de tout secours. Il n’en est pas un qui ne dise : « Nous lui f… notre première balle dans la tête. » Ils ne le feront pas, ils seront très bons soldats, ils se battront comme des diables, mais par point d’honneur et non par haine des Prussiens, qui ne les menaçaient pas, disent-ils, et qu’on a provoqués follement.

Hélas ! non ; ce n’est plus l’enthousiasme des guerres de la République. C’est la méfiance, la désaffection, la résolution de punir par le vote futur. Si toute la France est ainsi, c’est une révolution, et, si elle n’est pas terrible, ce que Dieu veuille ! elle sera absolue, radicale. — On se réjouit à Paris du changement de ministère ; ici, on s’en soucie fort peu ; on n’a pas plus foi en ceux qui viennent qu’en ceux qui s’en vont.

Voilà où nous en sommes. Nous tâchons, nous, d’apaiser ; mais nous ne pouvons nous empêcher de plaindre cette douce et bonne population qu’on décime et qu’on exaspère, après qu’elle a fait gaiement tant de sacrifices pour être forte dans la paix. Et tout cela au beau milieu d’une année désastreuse pour les récoltes !

Donnez-moi des nouvelles ; amitiés de nous tous.

G. SAND.

Je ne vous parle pas de mes chagrins personnels.