Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 6.djvu/390

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Mais Maurice, qui a le travail facile et persévérant et la mémoire excellente, a passé douze ou quinze ans avant d’être sûr de quelque chose, et il lui a toujours manqué pour être pratique comme il le voudrait, la grande base des mathématiques.

Je vois bien que vous croyez pouvoir produire sans avoir amassé : je vous ai rabâché, je vous rabâche que, pour faire un peu de miel, il faut avoir sucé toutes les fleurs de la prairie. Vous croyez qu’on s’en tire avec de la réflexion et des conseils.

Non, on ne s’en tire pas. Il faut avoir vécu et cherché. Il faut avoir digéré beaucoup ; aimé, souffert, attendu, et en piochant toujours ! Enfin, il faut savoir l’escrime à fond avant de se servir de l’épée, voulez-vous faire comme tous ces gamins de lettres qui se croient des gaillards parce qu’ils impriment des platitudes et des billevesées ? Fuyez-les comme la peste et ne leur ressemblez en rien ; ils sont, pour le coup, les vibrions de la littérature, ceux-là !

Non, non, l’art est une chose sacrée, un calice qu’il ne faut aborder qu’après le jeûne et la prière. Oubliez-le, si vous ne pouvez mener de front l’étude des choses de fond et l’essai des premières forces de l’invention. Vous y reviendrez plus sain et plus dispos quand vous aurez fait acte de force par la volonté, la persistance, le dégoût vaincu, le sacrifice des amusements et des flâneries. Soyez licencié en droit pour arriver à être quelqu’un ; alors nous ferons ensemble toutes les études littéraires que vous voudrez, et, si je vois poindre