Page:Sand - Elle et Lui.djvu/91

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qui ne sont pas du voyage de descendre à leurs barques.

Elle passa son bras sous le sien et alla voir sa cabine, qui était assez commode pour dormir, mais qui sentait le poisson d’une manière révoltante. Thérèse chercha son flacon pour le lui laisser ; mais elle l’avait perdu sur le rocher de Palmaria.

— De quoi vous inquiétez-vous ? lui dit-il, attendri de toutes ses gâteries. Donnez-moi une de ces lavandes sauvages que nous avons cueillies ensemble là-bas, dans les sables.

Thérèse avait mis ces fleurs dans le corsage de sa robe ; c’était comme un gage d’amour à lui laisser. Elle trouva quelque chose d’indélicat ou tout au moins d’équivoque dans cette idée, et son instinct de femme s’y refusa ; mais, comme elle se penchait sur la bande du steamer, elle vit, dans une des barques d’attente attachées à l’escale, un enfant qui présentait aux passagers de gros bouquets de violettes. Elle chercha dans sa poche une dernière pièce de monnaie qu’elle y trouva avec joie et qu’elle jeta au petit marchand, pendant que celui-ci lui lançait son plus beau bouquet par-dessus le bord ; elle le reçut adroitement et le répandit dans la cabine de Laurent, qui comprit la suprême pudeur de son amie, mais qui ne sut jamais que ces violettes étaient payées avec la seule et dernière obole de Thérèse.

Un jeune homme dont les habits de voyage et la tournure aristocratique contrastaient avec ceux des passagers, presque tous marchands d’huile d’olive ou petits négociants côtiers, passa auprès de Laurent, et, l’ayant regardé, lui dit :

— Tiens ! c’est vous !

Ils se serrèrent la main avec cette parfaite froideur de geste et de physionomie qui est le cachet des gens du bon ton. C’était pourtant un de ces anciens compagnons de plaisir que Laurent avait appelés, en parlant d’eux à Thérèse dans ses jours d’ennui, ses meilleurs, ses seuls amis. Il ajoutait dans ces moments-là : « Les gens de ma classe ! » car il n’avait jamais de dépit contre Thérèse sans se rappeler qu’il était gentilhomme.

Mais Laurent était bien amendé, et, au lieu de se réjouir de cette rencontre, il donna intérieurement au diable ce témoin importun de son dernier adieu à Thérèse. M. de Vérac, c’était le nom de l’ancien