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LETTRE IX

28 floréal.

J’ai suivi ton conseil, ma bonne mère, j’ai encore été revoir cette après-midi la maison de Boileau ; mais comme les portes en étaient fermées, cette fois je n’ai vu que le dehors. Je me suis bien douté que tu ne serais pas d’avis du rétablissement des ifs et des vieux buis. Tu préfères des arbres à longs rameaux balancés dans les airs, à ces charmilles, à ces arbres tondus qui ont pris la roideur du fer qui les taille. Mais mon intention n’était pas de faire du romanesque en les rétablissant. C’était de me transporter par la pensée au temps où vivait Boileau : de même que sur la scène on nous montre les Grecs et les Romains avec leurs habits, leurs édifices et leurs meubles. Ainsi, pour ne rien omettre, on m’eût vu me promener dans mon jardin en grande perruque et en nœuds de manche… Mais je quitte mon jardin d’Auteuil et reviens au présent. Les commissions, à ce qu’on dit, ne sont point nommées, quoique la Convention ait décrété qu’elles seraient en activité le 13 floréal… Nous sommes au 28, et il est certain qu’elles ne sont dans aucune prison. Lorsque j’ai appris qu’il y aurait un tribunal nommé pour juger les détenus, j’ai regardé ce moment comme celui de ta délivrance, connaissant l’équité des représentants du peuple et la justice de ta cause. Nous voilà encore frustrés dans nos espérances de ce côté. Cependant, il y a des gens qui disent que ce sera le comité de sûreté générale qui en décidera.

Bonsoir, ma bonne mère, je t’embrasse comme je t’embrassais à la même heure lorsque nous étions ensemble.