Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 1.djvu/162

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une voix magnifique et chantait admirablement. Il était tout instinct, tout cœur, tout élan, tout courage, tout confiance ; aimant tout ce qui était beau et s’y jetant tout entier sans s’inquiéter du résultat plus que des causes. Beaucoup plus républicain d’instinct, sinon de principes, que sa mère, il personnifia admirablement la phase chevaleresque des dernières guerres de la république et des premières guerres de l’Empire. Mais en 96 il n’était encore qu’artiste, et voici une lettre qui rappelle le délire musical si souvent et si bien peint par Hoffmann :


24 juillet 1796.

Je suis à Argenton, ma bonne mère. J’ai laissé un jour de courrier sans t’écrire, l’ayant employé à dormir. Figure-toi que le jour de mon arrivée je trouvai tous les musiciens de Châteauroux chez M. de Scévole. Le prieur de Chantôme, qui est une fort bonne basse et un aimable homme, y était aussi ; après souper, nous nous mîmes, au nombre de huit, dans un pavillon au bout du jardin, où nous jouâmes des symphonies de Pleyel jusqu’à trois heures du matin. L’orchestre était complet : bonne basse, bons instruments à vent, bonne musique ; c’était charmant. Le lendemain on fut chez madame de Ligondais. À six heures le concert s’ouvrit par une symphonie dont je menai le premier violon à livre ouvert sans faire une faute, M. Thibault, le virtuose de l’endroit, n’étant pas encore arrivé. Il vint enfin, et je lui rendis sa place avec bien du plaisir, car cela devenait difficile et eût pu compromettre ma réputation. Je jouai ensuite un quatuor de Pleyel ; je n’ai jamais si bien détaché de ma vie. À chaque passage j’étais interrompu par de bruyants applaudissements. Mon triomphe fut complet. J’étais debout devant cinquante personnes, avec une audace, une impudence ! ne tremblant pas plus qu’une contre-