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VI

Le Maréchal de Saxe.


Mes amis, à mesure qu’ils lisent ces pages imprimées, me font des questions et des observations plus ou moins fondées. En voici une à laquelle je crois devoir m’arrêter un instant avant de passer outre.

Pourquoi, me dit-on, avez-vous si peu parlé du maréchal de Saxe ? N’était-ce pas la plus remarquable figure et la plus frappante destinée de ce passé que vous évoquez comme une base de votre récit ? Ne savez-vous pas sur le compte de ce héros quelque fait particulier qui ait échappé à l’histoire ? Votre grand’mère n’avait-elle pas quelque tradition domestique qui jetterait du jour sur ce caractère étrange et assez mystérieux encore pour la postérité ?

Non, en vérité, ma grand’mère ne savait rien de particulier qu’elle voulût ou pût dire sur le compte de son père. Elle n’avait que deux ans lorsqu’elle le perdit, et, dans ses vagues souvenirs, ou dans les récits de sa mère, elle avait reculé devant son embrassade au milieu d’un dîner, parce qu’il exhalait une odeur de beurre rance qui répugnait à la précoce délicatesse de son odorat. Sa mère lui expliqua que le héros aimait de passion le beurre fort, et que pour le satisfaire on n’en trouvait jamais d’assez nauséeux. En fait de cuisine, tous ses goûts étaient à l’avenant. Il aimait le pain dur et les légumes presque crus. C’était une grâce d’état pour un homme qui passa les trois quarts de sa vie à la guerre.

Ma grand’mère croyait se rappeler aussi qu’il lui avait