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HISTOIRE DE MA VIE

cours ; et, comme nul ne peut prouver qu’il ait atteint à la perfection, il faut laisser à ceux qui nous connaissent le soin de nous absoudre de nos travers et d’apprécier nos qualités.

Enfin, comme nous sommes solidaires les uns des autres, il n’y a point de faute isolée. Il n’y a point d’erreur dont quelqu’un ne soit la cause ou le complice, et il est impossible de s’accuser sans accuser le prochain, non pas seulement l’ennemi qui nous attaque, mais encore parfois l’ami qui nous défend. C’est ce qui est arrivé à Rousseau, et cela est mal. Qui peut lui pardonner d’avoir confessé madame de Warens en même temps que lui ?

Pardonne-moi, Jean-Jacques, de te blâmer en fermant ton admirable livre des Confessions ! Je te blâme, et c’est te rendre hommage encore, puisque ce blâme ne détruit pas mon respect et mon enthousiasme pour l’ensemble de ton œuvre.

Je ne fais point ici un ouvrage d’art, je m’en défends même, car ces choses ne valent que par la spontanéité et l’abandon, et je ne voudrais pas raconter ma vie comme un roman. La forme emporterait le fond.

Je pourrai donc parler sans ordre et sans suite, tomber même dans beaucoup de contradictions. La nature humaine n’est qu’un tissu d’inconséquences, et je ne crois point du tout (mais du tout) à ceux qui prétendent s’être trouvés d’accord avec le moi de la veille.

Mon ouvrage se ressentira donc par la forme de ce laisser aller de mon esprit, et, pour commencer, je laisserai là l’exposé de ma conviction sur l’utilité de ces Mémoires, et je le compléterai par l’exemple du fait, au fur et à mesure du récit que je vais commencer.

Qu’aucun de ceux qui m’ont fait du mal ne s’effraie, je ne me souviens pas d’eux ; qu’aucun amateur de scandale ne se réjouisse, je n’écris pas pour lui.