Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/125

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Ici l’existence de ma mère disparaît entièrement pour moi, comme elle avait disparu pour elle-même dans ses souvenirs. Elle savait seulement qu’elle était sortie de prison comme elle y était entrée, sans comprendre comment et pourquoi. La grand’mère Cloquart n’ayant pas entendu parler de ses petites-filles depuis plus d’un an les avait crues mortes. Elle était bien affaiblie quand elle les vit reparaître devant elle ; car au lieu de se jeter d’abord dans leurs bras, elle eut peur et les prit pour deux spectres.

Je reprendrai leur histoire où il me sera possible de la retrouver. Je retourne à celle de mon père, que, grâce à ces lettres, je perds rarement de vue.

Les rapides entrevues qui servaient de consolation à la mère et au fils furent brusquement interrompues. Le gouvernement révolutionnaire prit une mesure de rigueur contre les proches parens des détenus, en les exilant hors de l’enceinte de Paris et en leur interdisant d’y mettre les pieds jusqu’à nouvel ordre. Mon père alla s’établir à Passy avec Deschartres, et il y passa plusieurs mois.

Cette seconde séparation fut plus déchirante encore que la première.

Elle était plus absolue, elle détruisait le peu d’espérances qu’on avait pu conserver. Ma grand’mère en fut navrée, mais elle réussit à cacher à son fils l’angoisse qu’elle éprouva en l’embrassant avec la pensée que c’était pour la dernière fois.