Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

public ne s’y est pas trompé. Il n’est pas utile, il n’est pas édifiant de savoir que Jean-Jacques a volé trois livres dix sous à mon grand-père, d’autant plus que le fait n’est pas certain[1]. Pour moi, je me souviens d’avoir pris dans mon enfance dix sous dans la bourse de ma grand’mère pour les donner à un pauvre, et même de l’avoir fait en cachette et avec plaisir. Je trouve qu’il n’y a point là sujet de se vanter, ni de s’accuser. C’était tout simplement une bêtise, car pour les avoir je n’avais qu’à les demander.

Or, la plupart de nos fautes, à nous autres honnêtes gens, ne sont rien de plus que des bêtises, et nous serions bien bons de nous en accuser devant des gens malhonnêtes qui font le

  1. Voici le fait comme je l’ai trouvé dans les notes de ma grand’mère : « Francueil, mon mari, disait un jour à Jean-Jacques : Allons aux Français, voulez-vous ? — Allons, dit Rousseau, cela nous fera toujours bailler une heure ou deux. C’est peut-être la seule repartie qu’il ait eue en sa vie ; encore n’est-elle pas énormément spirituelle. C’est peut-être ce soir-là que Rousseau vola 3 livres 10 sols à mon mari. Il nous a toujours semblé qu’il y avait eu de l’affectation à se vanter de cette escroquerie ; Francueil n’en a gardé aucun souvenir, et même il pensoit que Rousseau l’avoit inventée pour montrer les susceptibilités de sa conscience et pour empêcher qu’on ne crût aux fautes dont il ne se confesse pas. Et puis d’ailleurs quand cela seroit, bon Jean-Jacques ! il vous faudroit aujourd’hui faire claquer votre fouet un peu plus fort pour nous faire seulement dresser les oreilles ! »