Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/324

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d’être honteux d’inspirer et de partager cet amour-là, j’en suis fier, n’en déplaise à Deschartres et aux bonnes langues de La Châtre ; car parmi ces dames qui me blâment et se scandalisent, j’en sais qui n’ont pas, vis-à-vis de moi, le droit d’être si prudes. À cet égard-là, je rirais bien un peu ; si je pouvais rire quand tu es si triste, ma bonne mère, pour l’amour de moi !

« Mais, enfin, que crains-tu, et qu’imagines-tu ? Que je vais épouser une femme qui me ferait rougir un jour ? D’abord, sois sûr que je ne ferai rien dont je rougisse jamais, parce que, si j’épousais cette femme, apparemment, je l’estimerais, et qu’on ne peut pas aimer sérieusement ce qu’on n’estime pas beaucoup. Ensuite ta crainte, ou plutôt la crainte de Deschartres, n’a pas le moindre fondement. Jamais l’idée du mariage ne s’est encore présentée à moi : je suis beaucoup trop jeune pour y songer, et la vie que je mène ne me permet guère d’avoir femme et enfans. Victoire n’y pense pas plus que moi. Elle a été déjà mariée fort jeune ; son mari est mort lui laissant une petite fille dont elle prend grand soin, mais qui est une charge pour elle.

Il faut maintenant qu’elle travaille pour vivre, et c’est ce qu’elle va faire, car elle a déjà eu un magasin de modes et elle travaille fort bien. Elle n’aurait donc aucun intérêt à vouloir épouser un pauvre diable comme moi, qui ne possède que son sabre, son grade peu lucratif, et qui, pour rien au monde, ne voudrait