Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/379

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de tous les autres. Ma mère chérie, je t’embrasse ! » Mon père avait à la fois la vie et la mort dans l’ame ce jour-là. Il venait de remplir son devoir envers une femme qui l’avait sincèrement aimé et qui allait le rendre père. Il avait voulu sanctifier son amour par un engagement indissoluble. Mais s’il était heureux et fier d’avoir obéi à cet amour qui était devenu sa conscience même, il avait la douleur de tromper sa mère et de lui désobéir en secret, comme font les enfans qu’on opprime et maltraite. Là fut toute sa faute, car loin d’être opprimé et maltraité, il eût pu tout obtenir de la tendresse inépuisable de cette bonne mère en frappant un grand coup et en lui disant la vérité.

Il n’eut pas ce courage, et ce ne fut pas, certes par manque de franchise : mais il fallait soutenir une de ces luttes où il savait qu’il serait vaincu. Il fallait entendre des plaintes déchirantes et voir couler des larmes dont la seule pensée troublait son repos. Il se sentait faible à cet endroit-là, et qui oserait l’en blâmer sévèrement ? Il y avait déja deux ans qu’il était décidé à épouser ma mère, et qu’il lui faisait jurer chaque jour qu’elle y consentirait de son côté. Il y avait deux ans qu’au moment de tenir à Dieu la promesse qu’il avait faite, il avait reculé épouvanté par l’ardente affection et le désespoir un peu jaloux qu’il