Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/384

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

examinés par moi à loisir. Depuis, j’ai fait, de l’œil, une campagne dans le monde des faits, et je n’en suis point revenue telle que j’y étais entrée. J’y ai perdu les illusions de la jeunesse, que, par un privilége dû à ma vie de retraite et de contemplation, j’avais conservées plus tard que de raison.

Mon livre sera donc triste, si je reste sous l’impression que j’ai reçue dans ces derniers temps. Mais qui sait ? Le temps marche vite, et, après tout, l’humanité n’est pas différente de moi : c’est-à-dire qu’elle se décourage et se ranime avec une grande facilité. Dieu me préserve de croire, comme J.-J. Rousseau, que je vaux mieux que mes contemporains et que j’ai acquis le droit de les maudire. Jean-Jacques était malade quand il voulait séparer sa cause de celle de l’humanité.

Nous avons tous souffert plus ou moins, en ce siècle de la maladie de Rousseau. Tâchons d’en guérir, avec l’aide de Dieu.

Le 5 juillet 1804, je vins donc au monde, mon père jouant du violon et ma mère ayant une jolie robe rose. Ce fut l’affaire d’un instant.

J’eus, du moins, cette part de bonheur que me prédisait ma tante Lucie, de ne point faire souffrir longtemps ma mère. Je vins au monde fille légitime ; ce qui aurait bien pu ne pas arriver, si mon père n’avait pas résolument marché sur les préjugés de sa famille ; et cela fut un bonheur