Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/469

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avec son réflecteur étincelant prit aussitôt à mes yeux des proportions fantastiques, et je me voyais déjà enfermée dans cette prison de cristal, consumée par la flamme que faisait jaillir à volonté le Polichinelle en jupons. Je courus après ma mère en poussant des cris aigus. J’entendais rire la vieille, et le grincement du réverbère qu’elle remontait me causa un frisson nerveux comme si je me sentais élevée au-dessus de terre et pendue avec la lanterne infernale.

Quelquefois nous prenions le bord de l’eau pour aller à Chaillot. La fumée et le bruit de la pompe à feu me causaient une épouvante dont je ressens encore l’impression.

La peur est, je crois, la plus grande souffrance morale des enfans.

Les forcer à voir de près ou à toucher l’objet qui les effraie est un moyen de guérison que je n’approuve pas. Il faut plutôt les en éloigner et les en distraire : car le système nerveux domine leur organisation, et quand ils ont reconnu leur erreur, ils ont éprouvé une si violente angoisse à s’y voir contraints, qu’il n’est plus temps pour eux de perdre le sentiment de la peur. Elle est devenue en eux un mal physique que leur raison est impuissante à combattre. Il en est de même des femmes nerveuses et pusillanimes. Les encourager dans leur ridicule faiblesse est un grand tort ; mais la brusquer trop en est un pire, et la contrainte provoque souvent chez elles de véritables attaques de nerfs,