Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/536

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rendre maître, et il trouvait du plaisir à le vaincre. Pourtant, il lui arriva une fois de dire : « Je ne le crains pas, mais je le monte mal, parce que je m’en méfie, et il le sent. » Ma mère prétendait que Ferdinand le lui avait donné avec l’espérance qu’il le tuerait. Elle prétendait aussi que, par haine contre les Français, le chirurgien de Madrid qui l’avait accouchée avait crevé les yeux de son enfant. Elle s’imaginait avoir vu, dans l’accablement qui suivit le paroxysme de sa souffrance, ce chirurgien appuyer ses deux pouces sur les deux yeux du nouveau-né, et qu’il avait dit entre ses dents : celui-là ne verra pas le soleil de l’Espagne.

Il est possible que ce fut une hallucination de ma pauvre mère, et, pourtant, au point où en étaient les choses à cette époque, il est également possible que le fait se soit accompli, comme elle avait cru le voir, dans un moment rapide où le chirurgien se serait trouvé seul dans l’appartement avec elle, et comptant sans doute qu’elle était hors d’état de le voir et de l’entendre ; mais on pense bien que je ne prends pas sur moi la responsabilité de cette terrible accusation.

On a vu, dans la lettre de mon père, qu’il ne s’aperçut pas d’abord de la cécité de cet enfant, et j’ai souvenance d’avoir entendu Deschartres la constater à Nohant hors de sa présence et de celle de ma mère. On redoutait encore alors de leur enlever un faible et dernier espoir de guérison.