Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/540

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frère et moi dans cet état, les soldats et les cantinières lui disaient en riant ! « Bah ! ma petite dame, ce n’est rien. C’est un brevet de santé pour toute la vie de vos enfans. C’est le véritable baptême des enfans de la giberne. » La gale, puisqu’il faut l’appeler par son nom, avait commencé par moi.

Elle se communiqua à mon frère, puis à ma mère plus tard, et à d’autres personnes auxquelles nous apportâmes ce triste fruit de la guerre et de la misère, heureusement affaibli en nous par des soins extrêmes et un sang pur.

En quelques jours, notre sort avait bien changé. Ce n’était plus le palais de Madrid, les lits dorés, les tapis d’Orient et les courtines de soie. C’étaient des charrettes immondes, des villages incendiés, des villes bombardées des routes couvertes de morts ; des fossés où nous cherchions une goutte d’eau pour étancher notre soif brûlante, et où l’on voyait tout à coup surnager des caillots de sang. C’était surtout l’horrible faim et une disette de plus en plus menaçante. Ma mère supportait tout cela avec un grand courage, mais elle ne pouvait vaincre le dégoût que lui inspiraient les oignons crus, les citrons verts et la graine de tournesol, dont je me contentais sans répugnance. Quelle nourriture, d’ailleurs, pour une femme qui allaitait son nouveau-né !

Nous traversâmes un camp français, je ne sais où, et, à l’entrée d’une tente, nous vîmes