Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/608

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dire que les portraits tracés de cette sorte ne sont plus des portraits. C’est pourquoi lorsqu’ils paraissent blessans à ceux qui croient s’y reconnaître, c’est une injustice commise envers l’auteur et envers soi-même. Un portrait de roman, pour valoir quelque chose, est toujours une figure de fantaisie. L’homme est si peu logique, si rempli de contrastes ou de disparates dans la réalité, que la peinture d’un homme réel serait impossible et tout-à-fait insoutenable dans un ouvrage d’art. Le roman entier serait forcé de se plier aux exigences de ce caractère, et ce ne serait plus un roman. Cela n’aurait ni exposition, ni intrigue, ni nœud, ni dénouement, cela irait tout de travers comme la vie et n’intéresserait personne, parce que chacun veut trouver dans un roman une sorte d’idéal de la vie[1].

C’est donc une bêtise de croire qu’un auteur ait voulu faire aimer ou haïr telle ou telle personne, en donnant à ses personnages quelques traits saisis sur la nature. La moindre différence

  1. Cette opinion, prise dans un sens absolu, serait très contestable. On s’efforce, en ce moment, de fonder une école de réalisme qui sera un progrès si elle n’outrepasse pas son but et ne devient pas trop systématique. Mais, dans les ouvrages que j’ai lus, dans ceux de M. Champfleury, entre autres, le réalisme est encore poétisé suffisamment pour donner raison à la courte théorie que j’expose. Je suis heureuse d’avoir cette occasion de dire que je trouve ravissante la manière de M. Champfleury, réaliste ou non.
    (Note de 1854.)