Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/622

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comme j’en vois encore souvent en songe ; des palais enchantés avec des jardins comme il n’y en a pas, avec des milliers d’oiseaux d’azur, d’or et de pourpre qui voltigeaient sur les fleurs, et qui se laissaient prendre comme les roses se laissent cueillir. Il y avait des roses vertes, noires, violettes, des roses bleues surtout. Il paraît que la rose bleue a été longtemps le rêve de Balzac. Elle était aussi le mien dans mon enfance, car les enfans, comme les poètes, sont amoureux de ce qui n’existe pas. Je voyais aussi des bosquets illuminés, des jets d’eau, des profondeurs mystérieuses, des ponts chinois, des arbres couverts de fruits d’or et de pierreries ; enfin, tout le monde fantastique de mes contes devenait sensible, évident, et je m’y perdais avec délices.

Je fermais les yeux et je le voyais encore ; mais quand je les rouvrais, ce n’était que sur l’écran que je pouvais le retrouver. Je ne sais quel travail de mon cerveau avait fixé là cette vision plutôt qu’ailleurs ; mais il est certain que j’ai contemplé sur cet écran vert des merveilles inouïes.

Un jour ces apparitions devinrent si complètes, que j’en fus comme effrayée, et que je demandai à ma mère si elle ne les voyait pas. Je prétendais qu’il y avait de grandes montagnes bleues sur l’écran, et elle me secoua sur ses genoux en chantant pour me ramener à moi-même.

Je ne sais si ce fut pour donner un aliment à