Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/73

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abbé de Saint-Pierre, qualification ironique dont on lui fait grâce aujourd’hui qu’il est à peu près inconnu et oublié.

Il est des génies malheureux ; auxquels l’expression manque et qui, à moins de trouver un Platon pour les traduire au monde, tracent de pâles éclairs dans la nuit des temps, et emportent dans la tombe le secret de leur intelligence, l’inconnu de leur méditation, comme disait un membre de cette grande famille de muets ou de bègues illustres, Geoffroy Saint-Hilaire.

Leur impuissance semble un fait fatal, tandis que la forme la plus claire et la plus heureuse se trouve départie souvent à des hommes de courtes idées et de sentimens froids. Pour mon compte, je comprends fort bien que Mme Dupin ait préféré les utopies de l’abbé de Saint-Pierre aux doctrines anglomanes de Montesquieu. Le grand Rousseau n’eut pas autant de courage moral ou de liberté d’esprit que cette femme généreuse. Chargé par elle de résumer le projet de paix perpétuelle de l’abbé de Saint-Pierre et la polysynodie, il le fit avec la clarté et la beauté de sa forme ; mais il avoue avoir cru devoir passer les traits les plus hardis de l’auteur ; et il renvoie au texte les lecteurs qui auront le courage d’y puiser eux-mêmes.

J’avoue que je n’aime pas beaucoup le système d’ironie adopté par Jean-Jacques Rousseau à l’égard des utopies de l’abbé de Saint-Pierre, et les ménagemens qu’il croit devoir feindre avec