Page:Sand - Isidora, 1845.djvu/183

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— Non, je ne vous raconterai rien ; je ne le pourrais pas non plus ; mais je tâcherai de me faire connaître, en parlant au hasard, car mon cœur est plein de trouble, et je ne puis recevoir en silence un bienfait que je crains de ne pas mériter.

« Oh ! Madame, on n’est pas belle et pauvre impunément, dans notre abominable société de pauvres et de riches, et ce don de Dieu, le plus magique de tous, la beauté de la femme, la femme du peuple doit trembler de le transmettre à sa fille. Je me rappelle un dicton populaire que j’entendais répéter autour de moi dans mon enfance : Elle a des yeux à la perdition de son âme, disaient les commères du voisinage, en me prenant des mains de ma mère pour m’embrasser. Ah ! que j’ai bien compris depuis cette naïve et sinistre prédiction !

« C’est que la beauté et la misère forment un assemblage si monstrueux ! La misère laide, sale, cruelle, le travail implacable, dévorant, les privations obstinées, le froid, la faim, l’isolement, la honte, les haillons, tout cela est si sûrement mortel pour la beauté ! Et la beauté est ambitieuse ; elle sent qu’elle est une puissance, qu’un règne lui serait dévolu si nous vivions selon les desseins de Dieu ; elle sent qu’elle attire et commande l’amour ; qu’elle