Page:Sand - Jean de la Roche (Calmann-Levy SD).djvu/160

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cevoir que dans l’amour. Je n’étais pas ambitieux : mon premier, mon unique amour avait tué en moi toute velléité de ce genre. Le moment venait pourtant où je pouvais me faire un nom quelconque en publiant mes souvenirs de voyage. Je savais écrire aussi bien que cent autres, et l’homme qui a beaucoup vu peut prétendre à se faire lire. Eh bien, je ne trouvais aucune satisfaction dans l’idée de sortir de mon orgueilleuse obscurité. Je sentais que ma véritable vie, c’était mon amour, et non pas mes voyages. Je ne voulais pas raconter ma vie intérieure. L’autre ne m’intéressait pas assez moi-même pour que j’eusse le courage de la présenter avec le soin et le talent nécessaires.

Je n’ambitionnais pas non plus la fortune. Autant que je savais et daignais calculer, je pensais que les emprunts contractés pour voyager ne compromettaient pas très-sérieusement mon capital, et la moitié de ce capital m’eût encore suffi pour vivre avec la frugalité dont j’avais l’habitude. Seulement, je ne devais pas songer à élever une famille dans les conditions de la vie dite honorable, que ma mère avait soutenue pour moi avec d’incessants et d’impuissants efforts. Je songeai sérieusement à épouser quelque pauvre fille habituée à la misère, et qui pourrait regarder ma pauvreté comme un luxe relatif ; quant à mes enfants, je