Page:Sand - Jean de la Roche (Calmann-Levy SD).djvu/279

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ter dans mon cœur, car M. Butler venait de rentrer et recommençait à parler bas avec sa fille. Je retournai à mes cailloux, mais je ne pus continuer le moindre travail. J’étais hors de moi et comme épouvanté de l’idée que Love avait mise sous mes yeux. Était-ce donc moi que j’aimais en elle ? Avais-je caressé ma blessure au point de l’adorer et de me faire un mérite et une gloire de ma faiblesse et de ma souffrance ? N’y avait-il pas en moi une sorte de rage, peut-être une sorte de haine contre cette femme devenue insensible à force de s’exercer à dompter la douleur ? Je la sentais plus forte que moi, et j’en étais comme offensé et indigné. Peut-être même n’étais-je aussi acharné à sa poursuite que par besoin de me venger d’elle en lui faisant souffrir un jour tout ce que j’avais souffert. Qui sait si, du moment où je me sentirais ardemment aimé, je ne me trouverais pas tout à coup désillusionné et lassé par l’excès et la durée de la lutte ?

Tout cela était à craindre, car telle est la marche ordinaire des passions, et j’étais profondément humilié de penser que, depuis cinq ans, j’étais peut-être ma propre dupe, en me croyant embrasé d’un sentiment sublime, tandis que je n’étais que dévoré par un sauvage besoin de vengeance et de domination. J’attendais avec impatience le retour des domestiques de M. Butler. Aus-