Page:Sand - Journal d’un voyageur pendant la guerre.djvu/10

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ciait, lui, que de ce qu’il pourrait faire manger à sa chèvre ou à son bœuf durant l’hiver ; mais il avait plus de confiance que moi dans l’inépuisable générosité du sol. Il disait :

— Qu’un peu de pluie nous vienne, nous sèmerons vite, et nous recueillerons en automne.

Mon imagination me montrait un cataclysme là où sa patience ne constatait qu’un accident. Il ne s’apercevait guère du luxe évanoui, du bleuet absent des blés, du lychnis rose disparu de la haie. Il arrachait une poignée d’herbe avec la racine sèche, et après un peu d’étonnement, il disait :

— L’herbe pourtant, l’herbe ça ne peut pas mourir !

Il n’a pas la compréhension raisonnée, mais il a l’instinct profond, inébranlable, de l’impérissable vitalité. Le voilà en présence de la famine pour son compte, aux prises avec les aveugles éventualités de la guerre : comme il est calme ! Au milieu de ses préjugés, de ses entêtements, de son ignorance, il a un côté vraiment grand.